Même lui a droit de participer à la fête
Say

Aucune participation prévue dans les 8 semaines à venir.

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Même lui a droit de participer à la fête

Par Say - 07-09-2007 13:46:15 - 5 commentaires

La journée s'étire jusqu'à se terminer sur notre capitale. La porte du métro s'ouvre pour laisser le flot de travailleurs sortir et entrer dans la rame en se croisant dans la plus grande indifférence. Quel luxe que de pouvoir vivre autant isolé alors que nulle part ailleurs il n'y a une telle concentration d'âmes. Cet anonymat si cher aux villes et à notre mode de vie moderne, ni meilleur, ni pire que d'autres.

Ce soir, curieusement, personne ne descend et il y a même de la place sur la plate forme. Je n'y prend même pas garde, la journée a été si belle. Une séance de footing accéléré dans un des plus beaux jardins de Paris, entre les statues blanches, les oeuvres d'art et 3 musées aux tons solennellement chargés d'histoire. Je suis bien et je ne vois que des couleurs vives et heureuses bleues, vertes et jaunes dans les publicités qui tapissent les murs, délaissant les messages de réclames qui voudraient provoquer chez nous des envies d'achat convulsifs. Je suis vraiment bien. Le casque de mon lecteur MP3 est vissé sur mes deux oreilles. Il ne me crache pas de hurlements d'outre tombe pour une fois. Une vois féminine, à la fois douce et rauque me susurre "my heart" et j'y crois. Le calme. Trop calme.

En pénétrant dans la rame, un râle rouge empestant le vin de mauvaise qualité m'interpelle. Je ne fais qu'entendre ce qu'il me dit mais je le déteste déjà. Je lui en veux de me ramener si brutalement sur Terre.

Contact.

J'écoute enfin les paroles qui me sont adressées.

"-Eh t'as pas vu qu'il fallait pas monter?! Y'a d'la fumée! Dégage!" me dit cette voix de rocaille.

C'est un homme, qui me regarde avec un rire narquois, une cigarette allumée à la main droite dirigée vers moi, une bouteille d'un liquide rougâtre dans l'autre. Une menace?

Evaluation.

Nous sommes dans un espace clos et mon assaillant potentiel se trouve à moins d'un mètre. Les caresses que j'envisage de partager dans cette configuration sont l'upercut sous le menton et le coup de coude sur sa tempe gauche. Le problème c'est qu'étant donné son état d'ébriété potentiel, chaque action pourrait être létale, ce qui n'est pas moralement correct. Bon, il est de ma taille et quasiment non armé s'il ne brise pas sa bouteille en tesson. Il porte un sac à dos en bandoulière. Bien, c'est donc ainsi que je peux procéder : le neutraliser avec la bretelle de son sac. Mais qu'est ce qui me prend d'analyser si froidement le sort de ce type? N'est il qu'un sac de frappe? N'ai je aucun sentiment? Qui suis je pour décider de son devenir? Reprends tes esprits, ravales ton orgueil et essaies le dialogue. Je retire une oreillette en signe de respect.

"-Où est le problème? Puis je vous aider?

- T'as pas vu le problème?!? J'suis un gars de la rue et toi t'es qu'un gars en costard avec sa cravatte.

- Et alors?

- Et alors t'as pas 10 balles?

- Non

- Si tu les avais, tu ne me les donnerais pas?

- Non"

Là on approche du point de rupture. Je sens que la tension monte et on m'a toujours appris à frapper d'abord pour ne pas prendre de risque. Je retire la seconde oreillette, pour en pas que le fil me gêne dans mes gestes.

Reprends tes esprits. Arrêtes de vouloir mordre, il ne te provoques que peu. Cela n'en vaut pas la peine.

La rame s'arrête à la station. Nos voisins s'empressent de descendre ou s'écarter de nous. Je me recule pour céder le passage à certains d'entre eux. J'entends alors :

"ouais et à côté de moi il y a un chinetoque qui ne veut pas me filer son fric. Ben j'l'emmerde, heureusement qu'il est descendu!"

La phrase de trop.

Trop de souvenirs de lutte pour affirmer son autorité, ne pas se faire racketter à la sortie de l'école, ne pas subir d'agression permanente au fond de cette cité sordide de Seine Saint Denis où j'ai passé cette période que l'on appelle enfance. Des coups, du sang, des larmes, des cris, des pleurs, du feu. La Haine. Oui.

Là c'est une passion terrible, négative et destructrice. Curieusement cette brève explosion mentale de colère me permet de réellement prendre la bonne décision. La passion est un sentiment, elle peut aussi mener à la compassion. Malgré ses insultes, mérite-t-il cela? N'est ce pas juste son alcoolémie qui lui fait perdre son contrôle? C'est le second sentiment qui me saisit. Pour m'en sortir sans lui faire du mal, je vais utiliser le bluff.

"-Eh co(...), répètes ça et je te promets que tu es mort!

Il me regarde estomaqué de mon changement de ton.

- mais t'es qui toi? Moi je suis d'la rue et ....

- moi je t'em(...), je viens aussi de la rue alors fermes ta gu(...) T'es pas le seul et si tu fais ch(...) je te n(...) ta (...)!

- Euh, j'te parlais pas, c'était pour le gars qui est descendu...

- T'as intérêt! Sinon c'est sûr que tu va crever tout seul.

"

Il baisse la tête, me tourne le dos et éteint sa cigarette. J'ai gagné. Je suis content, non de l'avoir brisé, car il n'y a aucune gloire à en tirer. Mais il pourra regarder sur les écrans géants de la ville l'ouverture de la coupe du monde de rugby et pas depuis une chambre d'hopital. La fête sera aussi pour lui, il n'y aucune raison de l'exclure davantage.

Chez moi

Une heure plus tard, ma fille court vers moi dans notre allée comme tous les soirs et me dit "mon petit papa!". Je la serre doucement, j'aime son sourire, ses cheveux longs qui flottent et rebondissent à chacun de ses pas. Cela aurait été dommage de la voir à travers le parloir qui m'était promis à mon adolescence. Elle n'a pas à connaitre cette violence quotidienne, j'y veille. Et c'est comme ça que j'ai pris une année de plus dans ma vie.

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5 commentaires

Commentaire de Khanardô posté le 07-09-2007 à 14:12:32

Wouah, merci Say. J'ai adoré ! Du "inside man" :-) qui révèle beaucoup d'humanité dans le bonhomme. Dois-je dire que de toute façon je n'en ai jamais douté ?

A bientôt de se rencontrer "pour de vrai", comme deux vieux copains après une longue séparation...

Alain

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 07-09-2007 à 19:28:03

Houlà Coli ! Il ne faut pas te chatouiller ou tu dégaines ton vocabulaire qui tue !
Tu as pris la bonne option de poutrer l'individu verbalement.
Ayant pratiqué le Judo et la self-défense pendant 25 ans, je connais le danger de la violence pour autrui et pour soi-même.
Soremade !

Commentaire de Khanardô posté le 07-09-2007 à 22:07:08

Même lui a droit de participer à la fête, peut-être, mais là il est 22h08, j'ai un peu l'impression qu'il leur porte la poisse aux Bleus. S'il pouvait avoir l'extrême amabilité d'arrêter de le regarder, le match...

Alain_humour_noir

Commentaire de le_kéké posté le 08-09-2007 à 09:36:55

Ah le métro toujours un vrai plaisir chaque fois que je retourne à Paris, ces brèves rencontre, ces sourires en coin, c'est le seul truc que je regrete de Paris.
Quitte cette ville de fous Coli ...

Commentaire de Say posté le 10-09-2007 à 15:22:30

@Alain : non, je crois que c'est moi qui ait porté la poisse à l'EdF car je n'étais pas devant ma TV...

@Lutin : ouf, enfin quelqu'un d'autre de raisonnable. Bon, on doit se faire vieux tous les deux...

@Phil : moi je veux bien, mais mes boss se sentent trop bien sur la capitale :-(((

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