Là je jete l'éponge pour au moins 20 ans...
Par Say - 14-09-2007 09:56:11 - 6 commentaires
"Non mais qu'est-ce-que je suis con quand je m'y met..."
Une pensée très simple, limpide et un bon raccourci. L'automne commence à brunir les quelques arbres qui subsitent dans cette cité. Il n'y a personne dans la rue sauf ça et là les habituels drogués qui finissent leurs voyages au bout d'un enfer artificiel qui se voulait un oasis dans la douleur de leur vide. Il est trop tôt et les autres gamins dorment généralement. Non, ils ne sont pas devenus sages pour autant mais les nuit sont courtes quand on erre de cage d'escalier en cage d'escalier à la recherche de personnes avec qui échanger.
Un chien aboie de rage après moi. Je n'ai pas peur, c'est normal. Il est au septième étage enfermé sur un balcon. Il a de la chance, les chiens de combat ne voient que rarement la lumière du jour. Il s'agit probablement du chien de garde d'un foyer pas rassuré parmis nous. Des personnes qui ne se sentent pas à l'aise dans notre univers de violence et de haine gratuite. Des reliques quoi.
7h30.
J'enfile mes basket blanches et violettes trop chères pour moi. Je les ai eu par un ami qui connait un ami qui les tient de quelque part à Paris. Bref, j'ai les dernières Reebok, une nouvelle marque à la mode. Elles sont lourdes et remontent jusqu'en haut des chevilles. Il faut que je fasse attention car ça peut provoquer de l'envie chez certains et je en suis pas sûr que tout le monde sache bien qui je suis. D'ailleurs qui suis je? Un collégien, tête de classe, capitaine de l'équipe de Hand, etc, etc... Bref, une anomalie apparente au milieu de la grisaille que certain populistes appelent "le quartier". Il y a quelques jours, la professeur de sport nous a dit qu'on allait courir un cross.
Quelques jours avant
Qu'est ce que c'est un cross??? Ah, il faut courir comme un dératé dans le parc Robert Ballanger? Oui, facile, c'est banal et pas très compliqué. Tiens, ce sont d'ailleurs d'autres enfants un peu chétifs qui ont le regard qui s'illuminent quand la prof leur en parle. Ca va être du gâteau, je les ai tous battu à la course dans le préau à l'école primaire ceux là. Ah? Il faut s'entrainer Madame? Si ça vous fait plaisir... Enfin je ne vois pas trop à quoi ça sert mais bon allons y pour ce qu'elle appelle "endurance".
3 minutes! Qu'est ce qu'elle a à crier comme ça? Je m'en fous que son chrono ne marche pas bien. Ca fait au moins une heure que je rame. Je ne vois pas très bien où j'en suis. Combien ai je fait de tours de terrain de foot? Pas beaucoup mais les autres doivent être complètement à la ramasse car je ne les vois pas. Hé, hé...
7 minutes! Elle crie drôlement fort. J'en peux plus. J'ai les poumons rouges de feu, le teint le plus livide que je puisse avoir malgré ma couleur de peau naturelle (bronzer est une idée de touriste, ici tout le monde l'est de naissance). Allez j'arrête là, c'en est trop. Mais pourquoi la prof rigole? Pardon? Je suis le premier à m'arrêter? Et je suis dernier? Comment ça? Elle se trompe. Je ne peux pas croire ça, enfin je ne le veux pas. Mon orgueil en prend un coup. Je vois défiler au fur et à mesure de leurs passages ces frêles gamins, moins musclés que moi, moins lourds. Je ne comprend pas mais je ne me laisserai pas faire. C'est décidé, je vais m'entrainer ce dimanche matin car samedi j'ai musculation le matin et un match l'après midi.
7h35.
Je passe par la sortie de secours de la tour. L'ascenceur fonctionne mais l'odeur d'urine jaune de celui-ci si tôt le matin a tendance à me retourner l'estomac. Alors comme tout le monde, je passe par la sortie de secours qui est devenue par la force des choses l'entrée principale.
Je pars pour aller faire 3 tours du parc. Ca monte et ça descend. C'est nul : pourquoi ils n'ont pas fait un truc tout plat? Bon l'hiver c'est sympa car en prenant des morceaux de carton on se fait des descentes en luge.
Alors on va faire comme dit la prof : inspirer par le nez, expirer par la bouche et faire des trucs à la noix comme "pfff-pfff-chhhh" quand on court. Je m'ennuie. Ca fait 2 minutes que je suis parti. C'est lent et je m'étouffe à jouer à la cocotte minute au milieu de la rue. Je passe devant le collège et un ami Camerounais est accoudé à sa fenêtre avec un morceau de pain grillé à la main. Zut, je voulais passer inaperçu. Allez, ralentis (si c'est encore possible). Et fais comme si tu ne l'avais pas vu.
"- Eh, tu déjà collé? T'as fait quoi comme connerie en classe?
- Euh, non, je vais au parc. (j'y crois pas, il pense que je suis collé!!!!)
- Ah, où est ton ballon?
- Je vais juste faire un tour.
- T'es zarbi toi"
Tant pis, je reprend ma course. C'était Régis, un gamin d'une autre classe de 6°. Un mec super sympa et qui par contre est hyper rapide. Il m'a toujours battu sêchement en course. Je ne sais pas comment il fait. En plus, il me sourit à chaque arrivée alors que je rêve de le devancer ne serait ce qu'une fois. Alors je vais lui montrer histoire de l'impressionner. J'accélère, gonflant le torse tel un paon en m'enfuyant loin de sa vue.
7h40
J'arrive au parc. Je suis déjà mort. Heureusement il est fermé et je peux reprendre mon souffle. Ses hautes grilles vertes et sa maison de gardien peu engageante à l'entrée sont là pour rappeler que le parc est censé être ouvert à tout le monde. On s'en moque. On a fait plein de trous dans les grillages à quelques dizaines de mètres pour pouvoir y aller / venir quand on veut.. D'ailleurs on n'est pas les seuls à faire ça car on retrouve souvent au matin des personnes allongées dans l'herbes, le regard vitreux. On se demande au début si elles ne sont pas malades mais on a appris que selon le véhicule qui venait les chercher, c'était plus ou moins trop tard pour certaines d'entres elles. Je pénètre par le premier trou. On aurait pu y faire passer 3 idiots comme moi.
Arrêtes de rêver et cours. J'ai un walkman accroché à mes oreilles Ca aussi c'est un énorme luxe. Un autre ami (d'un ami qui connait quelqu'un...) en a eu un carton plein et j'ai donc récupéré le miens pour quelques francs et 2 devoirs à faire à sa place. C'est cool. Enfin, je n'ai pas beaucoup de cassettes, alors ce sera Twisted Sister et Trust de l'autre côté. Une centaine de "Pfff-Pff-Chhhh" plus tard, je m'arrête, cassé en deux.
Toujours cette poitrine en ébulition. Pourtant j'ai fait comme Rocky : j'ai pris un verre de lait spécial avec du chocolat, du sucre, et un oeuf cassé dedans. Je devrais pêter le feu et pas avoir envie de vomir?!? Mon ventre me fait mal et je fais des pas qui ressemblent davantage à des pas de fillette qui apprend à marcher qu'à de la course. C'est nul ce sport. Ca fait mal, on ne va pas vite et on se fait chier. Allez c'est décidé, j'arrête l'essai. Je ne ferai pas ce cross ni aucun autre après à l'école. Tiens, je vais me faire dispenser de sport comme ça, j'aurai davantage de temps pour m'entrainer en club.
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Beaucoup plus de 20 ans plus tard, le petit Coli se met à rêver d'arpenter le désert de l'Akakus tout seul avec son GPS et son sac à dos....
PS : les photos ont été empruntées au site MonAulnay.com
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6 commentaires
Commentaire de NoNo l'esc@rgot posté le 14-09-2007 à 10:38:27
Pfff - Pfff - Chhhhh... On connait tous ce refrain ! J'ai toujours détesté courir. J'étais moi aussi dispensée (que) de footing pendant mes "années lycée". Quand j'y pense, qu'est-ce qu'on peut être c## quand on est jeune ! :-( Allez, Say, on va rattrapper le temps perdu à Beauchâstel !!!
Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 14-09-2007 à 21:39:48
Tu n'es pas seul, Coli. Je séchais tellement les cours de sport qu'un jour, un prof en terminale a écrit ceci sur mon bulletin : "Est souvent absent. Ne fait rien quand il est présent".
Depuis, j'ai passé ma ceinture noire de judo et je me suis mis au marathon (déjà 10) et au trail.
Commentaire de iade38 posté le 15-09-2007 à 07:04:38
J'ai commencé a courir à 18 ans, en fac, quand c'était plus obligatoire.
L'exemple des parents est primordial. Mes parents n'étaient pas sportifs (agriculteurs) alors que mes enfants , voyant laur papa courir, aime ça. Vélo, footing: c'est naturel.
Commentaire de CLG posté le 15-09-2007 à 18:43:24
Ca m'a fait marré car on s'y retrouve tous un peu là-dedans ! gamin, on déteste la CAP et on ne comprends vaiment pas pourquoi à quoi ça sert !
Puis c'est dans la trentaine qu'on se rend compte que c'est un truc incroyable !
Bravo pour l'article !!
Commentaire de akunamatata posté le 16-09-2007 à 07:58:01
hihihihi!
Ca me rappelle des souvenirs, enfin sans le premier de la classe et le dernier au cross. J'etais moi du cote du quartier d'Antony, avant que celui-ci parte en vrille...
Commentaire de Khanardô posté le 18-09-2007 à 16:23:01
Tout est difficile avant de devenir facile...
Merci Say pour ce texte, qui nous permet d'en savoir un peu plus sur ton enfance (et surtout l'environnement dans lequel elle s'est déroulé...)
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